L’art équestre est-il (presque) mort ?

bureau eric louradour

Selon moi, la dimension artistique de l’équitation est un élément de réponse essentiel aux questionnements actuels autour du bien-être animal. À la compréhension scientifique de chaque équidé, il faut ajouter une relation presque empathique au cheval pour forger de véritables hommes et femmes de chevaux.

Aujourd’hui, notre enjeu d’enseignants est de transmettre cette connaissance à nos élèves, clients ou en formation afin d’élever à nouveau notre pratique au statut d’Art.

Il y a un passage dans le livre Understanding Equitation du maître cavalier Jean Saint-Fort-Paillard (1903-1990) que j’adore et qui explique la perte de l’art de l’équitation. Le propos me semble plus actuel que jamais. Ce dernier disait :

« Il suffit d’observer ce qui se passe réellement pour constater que la grande majorité des cavaliers utilise beaucoup plus leurs muscles que leur cerveau, beaucoup plus leur énergie que leur intelligence et leur compréhension psychologique.
Ceci est principalement dû au fait que l’art de l’équitation est mal compris, voire sous-estimé, par ceux-là mêmes qui le pratiquent le plus assidûment.  Et c’est pour cette raison principale que, le plus souvent, ils ne la pratiquent pas aussi bien qu’ils le pourraient et, en tout cas, n’en tirent pas le plus grand plaisir et le plus grand profit.

Pire encore, il y a de plus en plus de gens qui veulent apprendre à  monter, mais dont seul un très petit pourcentage s’est vraiment intéressé à l’art de l’équitation.  L’explication est simple : leurs premiers instructeurs ne leur montrent que l’aspect physique, qui est souvent le seul qu’ils connaissent et qui est loin d’être le plus fascinant.  On leur apprend à monter plus ou moins correctement, à utiliser leurs mains et leurs jambes selon une méthode peu structurée ou excitante et un beau jour, ils s’ennuient  à cheval. Tout cela est très agréable et amusant pendant un certain temps, mais à peine passionnant.  Et tôt ou tard, ils abandonnent un sport qu’ils ne comprennent pas vraiment parce que personne n’a été capable de les aider à découvrir ses dimensions réelles. »

Fort de ce constat et conscient de cette réalité, même si je crois en la démocratisation de l’équitation et en sa divulgation en masse, je suis inquiet en observant sa vulgarisation : « L’équitation de notre temps est profondément stigmatisée par les exigences de la compétition permanente qui jalonne la vie du cavalier et du cheval. La compétition à répétition est, pour 95 % des cavaliers, un facteur de dégradation. N’oublions pas que pratiquer l’équitation c’est d’abord rencontrer les chevaux et apprendre à s’en occuper. C’est ensuite apprendre à les monter en souplesse et à les diriger selon des techniques précises et tout en subtilité. C’est enfin accepter le fait que le cheval ait une personnalité à part entière. Un animal fort et puissant, toujours sauvage bien que domestiqué… Tout succès dépend du couple que forme le cavalier avec son cheval : pas de réussite et de plaisir dans cette discipline si une relation de confiance et de respect ne s’établit pas entre eux. L’équitation est donc un sport mais aussi un art : celui d’arriver à entrer en symbiose avec son cheval, autant mentalement que physiquement. La caractéristique singulière de l’art equestre est qu’il exige deux acteurs et que tous deux parviennent à n’être qu’un » (sources Wiki Horse et Notre famille).

L’art équestre doit retrouver ses lettres de noblesses. L’équitation ne doit pas être synonyme d’argent, de médiocrité, de fausseté, de méchanceté, de cupidité, d’arrogance ou de violence… mais plutôt de respect, loyauté, bienveillance, partage, bien-être, éducation, courage. L’équitation est un art que nous, enseignants, devons être capables de transmettre aussi bien en termes de valeurs que de technique, afin que les gens ne se lassent jamais de l’équitation.

Il est grand temps donc de se renouveler, de changer et d’agir. Je suis certain que tous ensemble, unis autour d’une même philosophie, nous pouvons le faire. Voir les chevaux et notre sport reconnus d’utilité publique ne serait-il pas fantastique ? En ces périodes de pandémie, nombreux pourraient en être convaincus. Reste donc à nous, tous acteurs confondus du Monde Du Cheval, de nous remettre en question, de transmettre le juste message, la bonne image, le bon exemple en veillant à nos comportements et en trouvant la juste stratégie.

L’équitation est vraiment un art ! J’ai toujours veillé, durant toute ma carrière, à me comporter en bon patriarche vis à vis des chevaux comme de mes cavaliers. Il est de mon devoir de sensibiliser mes élèves à se passionner pour le respect des chevaux,  la belle et juste équitation, à s’impliquer pour devenir de véritables hommes de chevaux et de valeurs. J’ai toujours mis un point d’honneur à ce que mes enseignements les aident pour leur avenir à cheval, comme dans la vie. Je leur répète souvent que mon rôle est de les rendre indépendants et non dépendants de moi et qu’un coach peut les faire gagner mais qu’un bon coach peut leur changer la vie !

Je terminerai mon propos par un des merveilleux textes du grand maître Nuno Oliveira. Pour lui également l’équitation était la plus belle école de la vie, un art de vivre mais surtout un grand Art !

« Je connais deux types de cavaliers. Les premiers, bien que parfois qualifiés, travaillent leurs chevaux mécaniquement et les utilisent comme des outils. Heureusement, il existe une autre catégorie, en fait moins nombreuse, et c’est celle de ceux qui aiment leurs chevaux et sont capables de sauvegarder, en toute aisance, leur expressivité naturelle. Les premiers ne sont pas forcément moins habiles que les seconds et sont capables d’exceller dans certaines catégories de concours. Les seconds, maudits poètes de cet Art, paraissent parfois même ridicules aux yeux de ceux qui ne perçoivent pas la subtilité de leurs idées. Cependant, ces derniers sont les cavaliers qui goûteront la vraie joie de sentir sous eux un cheval qui bouge avec plaisir, sans contraction, pas comme un esclave mais comme un ami. »

Sportivement votre, Éric

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