Cheminer, épisode 5 – La force du temps long

Eric Louradour coaching

Cheminer, c’est aussi témoigner… et transmettre

En 2017, alors que je m’étais réinstallé en Italie depuis quelque temps, j’ai fait acheter à des propriétaires un groupe de quatre jeunes chevaux de cinq ans. Tous, par un pur hasard, étaient des descendants de l’étalon Arc de Triomphe, et je les avais dénichés dans la Manche. Il y avait trois juments et un hongre : Canaille de Coquerie, Carlina Mouche, Camilla du Chanu et Cash du Pratel. Deux d’entre eux n’avaient fait que quelques parcours au printemps ; les deux autres étaient allés jusqu’à la finale de Fontainebleau, comme souhaité par les vendeurs et en accord avec les acheteurs. Mais ce n’était qu’un point de départ.

Ce que j’ai rapidement compris, c’est qu’ils avaient tous un caractère bien affirmé. Certains exprimaient leur anxiété par l’agitation ou la fuite, d’autres par la provocation, voire même par des réactions extrêmes qui pouvaient déstabiliser les cavaliers. Il aurait été tentant de les “recadrer” rapidement, d’entrer dans un rapport de force. Mais j’ai choisi une autre voie : celle du respect du rythme. Celle du temps long.

Avec des chevaux au fort tempérament, l’exactitude dans l’éducation est essentielle. Il faut maintenir un cadre clair, savoir être ferme et exigeant quand il le faut, mais aussi récompenser avec justesse. C’est un équilibre subtil, entre autorité et bienveillance. Il ne s’agit pas de céder, mais d’enseigner. Et c’est cette gestion fine du bâton et de la carotte qui permet de construire des chevaux équilibrés, confiants, disponibles — sans jamais casser leur énergie ni leur personnalité.

À six ans, aucun n’est allé en concours. Ils ont passé six mois au pré pour grandir, s’équilibrer, respirer. À sept ans : six parcours seulement, avant un nouveau retour à la prairie pour six mois supplémentaires, afin d’assimiler les apprentissages. À huit ans : huit concours, avec des sorties limitées à deux ou trois jours selon le profil, et encore quatre mois de pré en fin de saison. À neuf ans, ils ont entamé leurs premiers Grands Prix nationaux.

L’une d’elles — Canaille de Coquerie — pas la plus puissante, mais sans doute la plus volontaire et compétitive, a remporté cinq Petits Grands Prix et terminé trois fois deuxième sur les huit auxquels elle a participé. À dix ans, la plus puissante du groupe sautait des épreuves à 1,55 m, avec un potentiel remarquable. Quant au hongre, plus tardif, il a demandé un an de plus mais évolue aujourd’hui sur 1,60 m avec un palmarès solide. Il s’agit de Cash du Pratel, monté par Giacomo Bassi, et intégré à l’équipe italienne.

J’ai quitté l’Italie lorsqu’ils entraient dans leur onzième année. J’étais confiant dans les bases posées, mais aussi lucide : sans le bon cavalier, sans continuité dans la gestion, certains d’entre eux pourraient ne jamais exprimer pleinement leur potentiel. Pourtant, ce que je retiens de cette aventure dépasse largement les résultats.

Je retiens qu’il est non seulement possible, mais souhaitable, de sortir des normes. De choisir un chemin plus lent, mais plus respectueux. De convaincre les propriétaires de ne pas céder à la pression des calendriers, des vitrines, des classements précoces. Car la patience, la cohérence, et une relation construite dans la durée portent des fruits bien plus durables que n’importe quelle précipitation.

Et surtout, lorsqu’un travail est mené avec méthode, et en respectant une progression adaptée à chaque cheval, il n’est pas nécessaire de multiplier les concours pour progresser. Le travail à la maison, dans des structures variées, dans le calme, avec des situations nouvelles bien pensées, permet une évolution profonde. À condition de prendre soin du physique du cheval… mais surtout de son mental.

C’est ce que je cherche depuis toujours : des chevaux qui, sans pression, conservent ou retrouvent l’envie, l’engagement, le goût de l’effort.

Merci à ces chevaux, et à leurs propriétaires, d’avoir permis que ce chemin soit emprunté. Ce fut une victoire — pas seulement sur les terrains de concours, mais dans le cœur de ceux qui savent encore écouter les chevaux.

À demain pour le dernier épisode.

Sportivement vôtre, Éric

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