Cheminer, épisode 6 – Une équitation en conscience

eric louradour

Cheminer, c’est aussi témoigner… et transmettre

J’aurais pu continuer encore longtemps. J’aurais pu vous parler d’autres chevaux illustres, d’autres moments forts, d’autres parcours singuliers qui ont marqué ma vie.

Par exemple, Royal Power, ce cheval au tempérament difficile que José Larocca, son cavalier, envisageait de vendre tant il lui semblait compliqué, imprévisible, frustrant.

J’ai toujours cru, moi, qu’avec du temps, de la patience, et une méthode axée sur la compréhension et la bienveillance, il deviendrait le cheval d’une vie.

José m’a fait confiance. Nous avons beaucoup travaillé et ensemble, ils ont participé à deux Jeux Olympiques.

J’ai arrêté ma collaboration avec José juste avant les Jeux de Pékin. Pourquoi ?

Aujourd’hui, je peux l’avouer : parce que, dans ma tête, il était inimaginable de faire concourir un cheval sous une chaleur écrasante et une humidité extrême.

Les conditions, finalement, se sont révélées acceptables… Mais à ce moment-là, cela allait à l’encontre de mes valeurs.

Peut-être me suis-je trompé. Mais je n’ai aucun regret : je préfère rester en accord avec ma conscience.

Je pourrais aussi vous parler de Christina Liebherr, qui traversait une période de doute profond.

Avec elle, nous avons misé sur l’essentiel : remettre les chevaux au centre, revenir à une équitation juste, respectueuse, progressive.

Résultat ? Une saison exceptionnelle : triple sans-faute dans les Grands Prix de Hambourg et Chantilly, 4e à Monaco, 2e à Estoril, double sans-faute dans la Coupe des Nations de Dublin…

Preuve que l’exigence peut cohabiter avec la douceur, et que le haut niveau n’est pas incompatible avec le respect du cheval.

Et puis il y a les chevaux moins connus.

Personnalité Wisbecq, par exemple. Une jument au potentiel extraordinaire, que j’ai gardée jusqu’à six ans sans jamais la sortir en compétition.

J’aurais pu la vendre très cher. J’ai préféré la céder à mon ami Greg Leon.

Je savais qu’il lui offrirait une belle vie. Ils ont fait treize saisons ensemble, dans la complicité, la régularité, le respect mutuel.

Elle a été surnommée “la princesse des sans-faute”. C’est, pour moi, une aussi belle réussite qu’un palmarès international.

Ou encore Prince de Coquerie, un étalon au caractère fort et à la bouche délicate.

J’avais noué avec lui une relation d’amitié réelle. Nous avions construit quelque chose de solide.

Mais quand je n’ai plus eu assez de temps à lui consacrer, il est retourné chez son propriétaire.

Déstabilisé, perdu, il est devenu agressif. Ils ont dû le faire castrer. Il n’a jamais retrouvé son niveau… Cela m’a profondément marqué.

Ce n’est pas qu’une question d’entraînement. C’est une histoire de lien.

Alors oui, je le dis avec sincérité à ceux qui se questionnent : je fais ce que je dis.

Je ne cherche pas la perfection, mais la cohérence. Je suis — et je reste — droit dans mes bottes.

Je ne suis pas devenu cavalier pour les médailles ou les trophées.

Je suis venu à l’équitation par amour du cheval.

Par fascination pour cet animal noble, intelligent, généreux.

Un animal sans qui l’humanité n’aurait jamais pu évoluer comme elle l’a fait.

Cela ne m’a pas empêché de gagner en tant que cavalier, ni d’aider mes élèves à briller.

Aujourd’hui, le cheval n’est plus un outil de travail. Il est un partenaire de loisir, de sport, parfois d’apparat.

Cela nous oblige encore davantage.

Nous devons être deux fois plus responsables, deux fois plus respectueux.

Je suis souvent inquiet.

Je vois trop de cavaliers obnubilés par la compétition, qui n’écoutent pas leur cheval, qui le sur-sollicitent, qui ne prennent plus le temps.

Trop peu de réflexion. Trop peu de pédagogie. Trop peu d’humilité.

J’observe aussi des amalgames autour du bien-être animal.

Chacun y va de sa recette, de sa vérité absolue.

Mais parfois, la forme prend le pas sur le fond.

Le confort matériel ne suffit pas : le vrai bien-être se construit dans la relation, dans la méthode, dans le regard.

Il faut connaître le cheval. Il faut le comprendre. Pas seulement l’équiper ou le flatter.

Je vois aussi des institutions frileuses, qui peinent à fixer des lignes claires, à protéger les chevaux comme elles le devraient.

Je ne crois pas à la « démocratisation » de l’équitation sportive si elle rime avec une baisse des exigences ou un nivellement par le bas.

J’ai vu le niveau de formation des enseignants s’effriter. J’ai vu des cavaliers prétendre beaucoup… sans jamais se remettre en question.

Alors oui, parfois, je me sens un peu marginal. Un peu à part.

Mais bien souvent, mes intuitions se sont révélées justes.

Et si je partage aujourd’hui ces récits, c’est pour transmettre.

Pour dire qu’un autre chemin existe : celui du respect, de la rigueur, de l’écoute, de la patience.

Ce n’est pas le plus rapide. Ce n’est pas toujours celui qui mène à la gloire immédiate.

Mais c’est le seul, à mes yeux, qui ait du sens.

J’espère que ces écrits auront semé quelques graines. Qu’ils auront éveillé une curiosité, un doute, une envie de faire mieux.

J’espère aussi que vous avez pris plaisir à me lire, car moi, j’en ai pris beaucoup à écrire.

C’est, pour moi, une forme d’introspection.

Un moyen de mieux comprendre qui je suis, d’où je viens, et où je veux aller.

Un moyen de continuer à évoluer, à grandir, et à donner le meilleur de moi-même.

Écrire m’aide à éclairer le chemin. Et si mes mots ont pu éclairer un peu du vôtre, alors j’en suis profondément heureux.

Trop souvent, l’animal devient un moyen, quand il devrait rester un partenaire.

Bien sûr, il y a aussi de très belles choses : des cavaliers justes, des coachs engagés, des événements inspirants.

J’affectionne surtout ces concours « à l’ancienne », portés par des bénévoles passionnés, où l’on sent encore la générosité, la bienveillance, l’amour du cheval.

Ces lieux où le sport reste une fête, une aventure collective, et non une vitrine sans âme.

C’est cette équitation-là — humaine, sincère, respectueuse — que je continuerai de défendre.

Car elle donne du sens. Elle donne envie de se battre. Et elle fait honneur au cheval.

Aujourd’hui, je m’éloigne un peu de la compétition.

Non par rejet du sport — que j’ai toujours aimé, surtout quand il révèle le cheval dans toute sa puissance et sa beauté —

mais parce que je privilégie les stages, où je peux transmettre à un plus grand nombre de cavaliers ma philosophie équestre et une méthode d’équitation classique.

Et aussi parce que l’évolution du circuit me laisse parfois perplexe.

Je regrette que beaucoup de concours se ressemblent : mêmes terrains, mêmes sponsors, mêmes obstacles…

Une forme de standardisation qui, à mes yeux, étouffe parfois la richesse de l’expérience sportive.

Les épreuves s’enchaînent, souvent dès l’aube et jusqu’à la nuit tombée, dans des cadences qui fatiguent autant les chevaux que les humains.

Le rythme est intense, parfois déraisonnable.

J’observe aussi une frénésie de la performance : des cavaliers présents chaque week-end sur les terrains, mais parfois absents dans la relation à leur cheval.

L’animal devient un moyen, alors qu’il devrait rester un partenaire.

J’espère que notre milieu saura évoluer.

Je souhaite que l’équitation retrouve son âme, qu’elle cesse de courir après l’image ou les médailles, et qu’elle revienne à l’essentiel : le cheval.

Merci pour vos retours, vos messages, votre écoute.

Ils m’encouragent à continuer à écrire.

Peut-être, bientôt, je partagerai d’autres épisodes — sur mon rôle d’enseignant, sur la pédagogie, sur la transmission.

En attendant, je vous souhaite à toutes et tous un magnifique parcours équestre et de vie.

Surtout, prenez soin de vos chevaux.

C’est à travers eux que nous grandissons.

Sportivement vôtre, Éric

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