Fontainebleau : une belle édition mais attention…

grande semaine de l'élevage à fontainebleau

J’ai eu le plaisir, lors de la grande semaine de l’élevage, de voir Fontainebleau dans sa nouvelle peau ! Tous les nouveaux aménagements et la disposition des stands donnent un air de renouveau et c’est très beau, tout en restant un véritable paradis pour les chevaux… La France peut être fière de sa finale des jeunes chevaux qui dure et perdure grâce à la Société hippique française dans ce lieu magnifique et stratégique sur le plan géographique depuis 1982, devenant ainsi une plaque tournante pour commercialiser tous les jeunes équidés qualifiés.

Cette édition 2021 était très réussie et particulière car non seulement le soleil était omniprésent et les engagés, passionnés, vendeurs, acquéreurs, et spectateurs étaient venus en grand nombre. La difficulté à trouver des chevaux adaptés aux parcours si difficiles qu’imposent notre sport aujourd’hui ont certainement contribué à cet élan et à cet engouement. Seul petit bémol concernant les installations, le terrain en herbe. Il n’était pas formidable mais je sais que d’ici peu des travaux sont prévus pour le restaurer. Vu qu’aujourd’hui ce sont les terrains en herbes qui sont privilégiés pour les plus gros Grands Prix internationaux (Aix-la-Chapelle, Calgary, certains championnats d’Europe), la France se doit donc d’en avoir d’excellente qualité afin de faire évoluer ses jeunes ou moins jeunes chevaux.

Cette grande semaine de l’élevage était aussi l’occasion de revoir des amis ou connaissances de longues dates, mais aussi de découvrir des jeunes passionnés qui se lancent dans l’aventure cheval avec une grande croyance, positivité ou confiance pour certains, mais aussi beaucoup de doutes pour d’autres. Certains de ces jeunes, sachant que j’ai écrit un livre biographique racontant les difficultés que j’ai dû affronter pour évoluer dans ce métier, se plaisent à me questionner. J’adore les motiver, les conseiller, les diriger, les rassurer… Parmi les plus vieilles générations, certains sont devenus aigris et quelque peu pessimistes mais d’autres restent heureusement tout aussi motivés, passionnés et déterminés. La vrai passion associée au succès grâce à une bonne gestion de carrière et d’image nourrissent souvent cette vitalité et positivité. Ces derniers motivent bien des jeunes à s’engager dans ce métier pourtant difficile. La roue tourne ; ainsi va la vie ! Quel cycle merveilleux d’observer ce tourbillon, cette évolution, cette progression où les jeunes vont vers l’ascension pendant que les plus anciens vont vers la transmission.

Même si le bilan de cette grande semaine de l’élevage est positif, je me pose bien des questions. En discutant avec d’autres professionnels, je me rends compte que c’est un sentiment partagé actuellement. J’ai eu beaucoup de plaisir par exemple à parler d’un sujet qui me tient à cœur avec un jeune cavalier normand appelé Victor Cherré. Victor a été sensibilisé par ma façon respectueuse et lente d’emmener vers la haute compétition un groupe de 4 chevaux qu’il connaissait. Pour contrôler si mes arguments étaient justifiés et applicables ou rentables, il s’est amusé à faire des statistiques sur les meilleurs chevaux français ayant participé aux Jeux olympiques. Le résultat parle pour lui-même. Tous les chevaux qui suivent ont débuté leur carrière sportive très tardivement ou lentement :

  • Urvoso du Roch a débuté sa carrière à 6 ans
  • Berlux Z a fait seulement 2 parcours à 4 ans puis des formations 2 à 5 ans et enfin des épreuves amateurs jusqu’en 2018
  • Venard de Cerisy a débuté lui aussi sa carrière à 6 ans sur des épreuves préparatoires
  • Ugolino du Clos a débuté sa carrière à 6 ans
  • Hello Jefferson était quand à lui un cheval compliqué et avait débuté la compétition à 6 ans sur des épreuves 105/110

La recherche de Victor s’est arrêtée sur des chevaux dont il avait pu regardé les résultats au début de leurs carrières, principalement des chevaux français donc puisqu’il n’avait pas pu trouver les résultats de début de carrière des chevaux étrangers. Evidemment, un certain nombre des chevaux présents à Tokyo ont également participé à toutes les étapes des circuits jeunes chevaux mais bien souvent, le nombre de parcours réalisés est raisonnable et les chevaux ne sont donc pas « usés » jeunes… Très intéressant !

Quel plaisir aussi d’écouter monsieur Bost, père du champion olympique Roger-Yves et de l’entraîneur national des jeunes Olivier, qui observait lui aussi que beaucoup de jeunes chevaux sont trop embouchés et emboutis (angle bouche / poitrail trop fermé) ; que les cavaliers cherchent trop à éviter la faute quand en revanche on sait que c’est celle-ci qui serait profitable dans un réel système éducatif (attention, je ne parle pas de provoquer une faute mais de ne pas l’éviter)…

Très belle conversation également avec Catherine Bonnafous (ex cavalière internationale, grande femme de cheval, « dégoteuse » et formatrice de bien des chevaux d’exemption). Catherine me disait constater que la compétition à haut niveau est toujours plus exigeante envers les chevaux (quantité et difficultés) et ne peut plus hélas assez respecter leur intégrité physique ou morale. Cela est contraire à sa démarche et son éthique et elle s’interrogeait à savoir pourquoi la Fédération équestre internationale n’instaurait pas un quota de parcours pour les vieux chevaux comme pour les jeunes chevaux.

Partage intéressant aussi avec des chefs de piste auxquels je faisais part de mon étonnement à voir des parcours assez techniques construits surtout avec des obstacles délicats ou fragiles avec peu de barres et sans barre d’appels… Pour ma part, mais aussi d’après Steve Guerdat avec qui j’en avait déjà parlé, il serait préférable de sauter un peu plus haut mais dans le galop et sur des parcours plus distancés les uns des autres. Quitte a ce que les chevaux soient un peu plus naturels pour ne pas dire « en bordel ». Surtout quand on sait que des parcours techniques demandent un dressage trop coercitif et restrictif pour des jeunes chevaux en pleine croissance. Paradoxe total en plus quand on observe qu’un professionnel français, pour gagner raisonnablement sa vie, doit privilégier malheureusement la quantité à la qualité… Le meilleur dresseur est le temps et la patience !

Superbe dialogue aussi avec Gregoire Hercelin, grand cavalier spécialisé dans les jeunes chevaux qui, après avoir été poussé dans le passé par ses propriétaires à participer à la finale de Fontainebleau, impose aujourd’hui sa stratégie à ses clients. Chaque cheval a un carnet de route propre à chacun en fonction des objectifs (commercialisation à plus ou moins court terme, carrière sportive à plus ou moins long terme, carrière d’étalon… tout cela dans le respect de l’animal et de ses capacités, mais aussi des intérêts du propriétaire que le professionnel se doit de conseiller avec vigilance,droiture et compétences).

Aux vues de tout cela, il est regrettable que dans le monde du cheval d’aujourd’hui on parle plus d’argent que de chevaux ou d’équitation et surtout qu’on cherche le moyen le plus rapide pour en faire à travers eux. Tout cela fausse les vraies valeurs de cette belle discipline et le marché du cheval car les prix grimpent, affaiblissant ainsi les ventes (beaucoup de propriétaires entendant parler de gros tarifs rêvent et refusent bien des offres correctes). Cela dégrade aussi l’image d’un milieu extraordinaire qui a tant à offrir. Dans ce système qui est-ce qui risque de tout perdre et de se retrouver piégé ? Le client ok ; mais lui il a le pouvoir de s’informer, de s’opposer ou de se rebeller. En revanche le plus grand perdant c’est le cheval ! Lui ne peut rien dire mais doit subir.

Voilà en tous cas ce que j’aime à Fontainebleau et lors de mes voyages : les rencontres, le partage, le dialogue, l’observation, la passion, l’amour des chevaux, de la juste équitation et du beau sport, l’implication, les réactions et surtout l’action de certains… Les jeunes (chevaux ou cavaliers) méritent vraiment notre attention et notre protection. Dans notre métier, peu osent s’exprimer ou surtout ne prennent pas le temps. Il serait urgent pourtant que les plus anciens qui ont prouvé par leur correction, implication et actions associés aux plus grands acteurs de notre sport (qu’ils soient cavaliers de jeunes chevaux ou d’internationaux) s’unissent pour sensibiliser les dirigeants des fédérations (nationales ou internationale) sur une autre approche à l’équitation, de nouveaux règlements, une autre vision et stratégie. Surtout quand on sait que souvent nos dirigeants n’ont même pas été acteurs dans notre communauté avant d’être décideurs.

Notre milieu a réellement besoin de femmes et d’hommes de chevaux pour faire évoluer notre sport dans la meilleure direction. Cela afin d’éviter des restrictions, des obligations ou réactions absurdes mais surtout des sanctions tragiques comme on a pu le voir avec certains sports. Rayés des Jeux olympiques, le Graal de tout sportif ! Constituer par exemple un Conseil d’observateurs ou Conseil de vigilance composés de sages qui ont prouvé tout au long de leur vie leurs compétences, intégrité, bienveillance, impartialité et surtout de probité, seraient je pense une des clés pour le futur de l’équitation.

Sportivement votre, Éric

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