Construire des « Hommes de chevaux »

Eric Louradour equipe italie

Enseigner demande beaucoup de temps, de patience, d’énergie et de compétences. Ces dernières doivent être sans cesse augmentées ou améliorées pour toujours mieux transmettre. Alors se met en place un cercle vertueux ou l’enseignant reste toute sa vie un élève curieux et généreux qui partage son savoir.  On le dit intelligent car il est intéressé et intéressant ! Ces acquis et ses enseignements seront ensuite à nouveau transmis par bien des nouvelles générations qui reproduiront suivant leur volonté ou capacité le même schéma.

Début novembre, après deux mois en prairies, nos chevaux ont réintégré leurs boxes afin de reprendre une vie d’athlète. Ils vont re-débuter à travailler sous ma selle, aidé par une nouvelle équipe de trois jeunes que je superviserai sous un œil attentif et avisé. Ces trois jeunes de 22 à 24 ans doivent assumer un rôle de cavalier / soigneur. Il s’agit de deux Français et un Italien. Ils sont venus collaborer à mes côtés espérant peaufiner leur équitation mais pour ma part je désire avant tout faire d’eux de véritables « Hommes de chevaux » et des personnes ou professionnels responsables et compétents !

Qu’est-ce qu’un Homme de cheval ? C’est une personne qui fait passer les priorités de son cheval avant les siennes. Le bien-être et le respect du cheval sont au centre de toutes ses préoccupations. L’Homme de cheval doit avoir une grande expérience et une connaissance approfondie des équidés, de l’élevage au dressage, peut ressentir et anticiper leurs réactions, les comprendre et établir avec eux une relation sereine et confiante. Pour devenir un homme de cheval, la personne doit donc acquérir et développer les compétences suivantes : compréhension, expérience pratique, ouverture d’esprit, respect du cheval, empathie éthologique, application effective de la théorie, attention au langage du corps, acceptation de laisser la priorité au bien-être du cheval, intelligence émotionnelle, humilité et intégrité, adaptabilité, patience, capacité à travailler en équipe et symbiose de la relation, bon sens.

Il est important de préciser qu’être un Homme de cheval n’est pas uniquement réservé à l’élite, particulièrement en ce qui concerne le sport, mais est spécifique à toute la communauté équestre.

Au début de notre collaboration, j’ai beaucoup observé cette nouvelle équipe et, perplexe, je me suis questionné : que leur a t’on appris par le passé ? Il font tous preuve d’un manque visible de connaissances, de bon sens, d’organisation et de structure dans l’exécution de leur travail, mais également de rigueur, et surtout de réelles bonnes bases équestres. C’est un fait, mais le plus malheureux est que ce n’est même pas de leur faute mais bien celle d’un système éducatif souvent trop léger, laxiste, primaire ou superficiel que l’on peut observer dans le milieu équestre et la plupart des formations proposées.

Qu’ils soient français ou italiens, ils sont au même niveau. Cela prouve bien que la formation des enseignants dans ces deux pays n’est pas assez poussée et adaptée. Il faut arrêter de former des  animateurs plutôt que des Hommes de chevaux, de véritables professionnels en somme. On ne sensibilise plus assez aux jeunes pratiquants à la bonne approche vers les chevaux, la connaissance de l’animal, la juste et belle équitation, la bio mécanique, la culture équestre, et même à la vie…

Tous les enfants du monde n’ont pas la chance d’avoir des parents qui sauront leurs enseigner les vrais valeurs et la bonne éducation en utilisant les justes mots, en ayant la juste réaction au bon moment, en donnant le bon exemple ou en trouvant de l’aide et pourquoi pas le juste chemin pour eux. C’est là où nous enseignants, devons être conscients de l’importance de notre rôle. Là où un entraineur peut te faire gagner une compétition, un bon entraineur te change lui la vie.

Me concernant, je choisis mes collaborateurs en fonction de leur éducation familiale. C’est un socle indispensable pour pouvoir communiquer et évoluer plus rapidement et facilement entre nous et savoir que dès le départ, et plus tard, ils feront preuve de courage, de détermination et surtout d’éthique pour devenir de bons professionnels et de belles personnes. Pour moi l’honnêteté et la sincérité chez l’humain résident parmi les ingrédients indispensables pour obtenir une belle réussite. Faire fructifier ses intérêts en respectant ceux des autres est acceptable. Les faire sans respect ne mérite pas le respect … « Qui sème bien, récolte bien. »

Pour en revenir à ma nouvelle équipe, les premiers jours ont été intenses d’enseignements pour eux.

Je les ai tout d’abord invité à mieux organiser leur travail en veillant à être vigilants, attentifs, attentionnés, ordonnés, corrects, précis, efficaces, rapides et efficients. Par exemple, vérifier l’état des abreuvoirs et des mangeoires avant de mettre les chevaux au boxe ; retirer les crottins dès que le cheval est hors du box et à tous moments de la journée… Puisque l’Homme bien éduqué apprend à vivre dans la propreté et à faire son lit en se levant, l’Homme de cheval désire un box propre et confortable pour son équidé.

Je les ai également sensibilisé à l’importance de respecter les règles de sécurité. Vis-à-vis d’eux même mais aussi du cheval. Jamais de téléphone ou cigarette à pieds comme à cheval (manque de concentration, connexion, respect et attention envers le cheval, risque d’incendie). Un d’eux laissait la corde du licol tomber au sol alors que le cheval était attaché des deux côtés au milieu du couloir. Son cheval risquait ainsi de marcher sur la corde pendante, de se sentir pris au piège et d’éventuellement se retourner en arrière en voulant se libérer…

Autres enseignements : bien gérer les paddocks. Jamais laisser un cheval seul au paddock. Surtout quand on rentre les autres. Toujours au moins une paire afin d’éviter le stress du cheval et les accidents. Les remettre toujours dans le même paddock afin qu’ils soient habitués à l’environnement et sereins.

À la longe, toujours avoir gants et chambrière (les gants pour éviter de se brûler les mains et de perdre son cheval s’il cherche violemment à se libérer ; la chambrière car elle remplace l’action des jambes pour maintenir l’impulsion mais aussi la direction). Tenir la longe en formant un huit de chiffres dans sa main plutôt qu’un cercle, pour éviter d’avoir la main coincée dans la longe au risque de se faire traîner.

Sur le plan équestre, nos premiers échanges ont été également très intéressants, peut être bouleversants mais tout de même très motivants. Là encore aussi bien pour eux que pour moi. Pour moi car j’entrevois les nombreuses heures de partage qui m’apporteront beaucoup de bonheur même si elles peuvent se révéler fatigantes : le bonheur d’aider un cheval à être mieux compris, mieux monté, plus respecté ; la joie de voir un cavalier dans la recherche évoluer avec sensibilité, respect et ambition. 

Pour eux, un nouveau monde s’ouvre ! Ils comprendront qu’il faut beaucoup de temps pour construire et très peu pour détruire. Mais surtout qu’il est facile et très rapide de prendre des défauts et très difficile et long de les corriger. Tous réagiront de façons différentes. Certains pourront être suspicieux, étonnés ou même choqués au départ par crainte, tristesse ou même désespoir, ayant le sentiment d’avoir perdu du temps auparavant ou de finalement ne pas savoir monter… D’autres en revanche, entreverront un nouveau parcours passionnant.

Un monde de l’équitation bien plus simple, plus naturel, académique et fait d’éthique, de bon sens, de passion, d’amour, de patience. Un sport où le cavalier est plus exigent envers lui et moins envers son cheval.

À ce propos, mes trois jeunes collaborateurs ont vécu une expérience singulière qui a appuyé ces propos et ma philosophie. Une des employés a désiré emmener son propre cheval en pension au sein de l’écurie que je dirige. Le premier jour, je lui ai demandé de bien vouloir le monter comme elle en avait l’habitude afin d’observer le couple et faire une évaluation. Son cheval, qui manquait totalement de muscles, battait à la main, n’était pas en équilibre et même boiteux d’un postérieur. Sa cavalière elle, manquait de bases d’équitation et de connaissances de l’animal. Lors de cette première séance je fis réagir ma nouvelle élève en lui disant qu’elle voulait monter son cheval dans une posture contraignante comme si elle montait un cheval au maximum de sa musculature et de son dressage. Beaucoup de jeunes font cette erreur, voulant copier les grands cavaliers au plus haut niveau. Ils oublient souvent que pour en arriver là, ces chevaux ont eu de réelles bonnes bases et surtout une belle progression mentale, physique et technique.

J’ai utilisé pour la sensibiliser une métaphore : « Imagine que tu vas à une première leçon de yoga et que ton professeur te demande de faire tout de suite et dès le premier jour le grand écart. Ensuite, pour absolument réussir à te le faire faire il monte sur tes épaules pour t’écraser au sol. Il est certain que ton corps, qui a une mémoire et qui aura souffert, ne voudra pas refaire de sitôt cette posture et t’invitera à ne pas retourner vers ce professeur ou cette discipline. »

À la suite de cette explication, je suis monté sur son cheval en lui expliquant que, avant de contracter ou raccourcir des muscles, il faut déjà les étirer. J’ai monté alors son cheval en extension en l’invitant à aller sur le mors et ainsi recevoir sa bouche plutôt que de lui prendre. Je l’ai ensuite incité à se relâcher dans tous ses muscles tout en gardant un bon équilibre sur les quatre pieds. Progressivement, le cheval est devenu stable sur ma main. Il pointait les oreilles en avant, semblait plus heureux et surtout, chose incroyable, était devenu régulier et ne faisant preuve d’aucune boiterie…

Pour conclure avec cet article, je le conçois assez dense, je dirais que chaque jour depuis leur arrivée est une nouvelle aventure très stimulante et passionnante pour eux mais également pour moi. Je les vois arriver aux écuries souriants, heureux, passionnés et motivés. Je suis quelqu’un de méthodique, de constant, de reconnaissant, généreux et j’espère compétent. Je m’efforce tous les jours d’évoluer et de m’améliorer. Si ces jeunes donc continuent à me démontrer leur réelle envie d’évoluer eux aussi, de se surpasser et de devenir des « hommes de chevaux » mais aussi des humains respectables, alors chaque jour ils obtiendront beaucoup et toujours plus de moi. Comme me disait mon mentor George Morris : « Avant d’être un bon employeur tu dois être un ouvrier exemplaire ; avant d’être un Prince tu dois être un esclave » ou alors : « Accepter de perdre du temps est la meilleure façon d’en gagner ».

J’espère que ces jeunes comprendront et accepteront mes enseignements ainsi que mon exigence envers eux, tout comme j’ai compris, même si des années après, celle de mes parents, de mes meilleurs professeurs et surtout celle de George. Les chevaux ont été également mes meilleurs enseignants. Ils m’ont toujours fait comprendre que pour obtenir d’eux je devais être juste, précis, déterminé, patient, honnête, sincère… Tout cela s’obtient par l’implication, « la dévotion » et la passion. Quand je vois mon évolution personnelle, celle de mes chevaux ou de mes élèves je ne peux être qu’heureux. Je suis heureux de les rendre heureux et cela fait de moi un Homme de cheval heureux !

Sportivement vôtre, Éric

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