En 2017, j’ai acheté pour le compte de propriétaires cinq jeunes chevaux. Quatre 5 ans à l’époque, tous descendants de l’Arc de Triomphe et un 4 ans fils de Président. Comme je l’ai déjà écrit dans des articles précédents, j’ai sensibilisé et convaincu mes investisseurs à me laisser faire progresser ces chevaux de façon très lente et respectueuse en fonction du passé, du mental et de la croissance physique de chacun (chaque cheval a son histoire et est différent mentalement ou physiquement, tout comme les êtres humains).
Ainsi ces chevaux ont fait zéro compétition en 2018 et six mois de prairie ; six parcours en 2019 pour les 7 ans et aucun pour le 6 ans, suivis de six mois de pré. Huit concours en 2020 et deux mois de prairie. En 2021, ils ont participé à douze concours et toujours en variant entre deux ou trois parcours par concours, suivant leur progression. Parmi ceux de 9 ans, trois d’entre eux ont fini la saison sur 1,45m avec différents classements et ont prouvé leur potentiel à sauter plus gros, tandis que la quatrième a participé à huit petits GP en en remportant cinq et en finissant 2ème dans les trois autres. C’est une jument de sang, très généreuse et respectueuse, dont il est difficile de savoir jusqu’où elle ira. Dans tous les cas, ce sera une championne dans sa catégorie. Le fait de bien gérer sa carrière sportive en lui permettant de conserver le moral plutôt que de risquer de lui faire perdre en lui faisant vivre des expériences négatives ou en la mettant sur des épreuves trop grosses et trop rapidement, lui permettra peut-être d’accéder à des Grands Prix. C’est elle qui nous le fera ressentir. Elle surprendra ainsi bien des personnes qui se plaisent à juger rapidement un cheval et à dire à voix haute qu’il n’a pas assez de moyens ou n’observent en eux que leurs défaillances. Il n’y a rien de pire qu’un cheval pour nous faire mentir ! Les chevaux m’ont appris à ne pas les juger rapidement ou à ne pas les critiquer sans vraiment les connaître.
Le cinquième cheval, qui est âgé maintenant de huit ans, a eu progression passionnante et formidable. Je ne sais pas jusqu’où il ira non plus mais tous ceux qui ont côtoyé ou observé Didji de Coquerie sont surpris car personne n’aurait cru ou misé en lui. Voici son histoire :
Je collabore depuis plus de trente-cinq ans avec l’élevage de Coquerie et ses propriétaires, Annick et Raphaël Dulin. Ils possèdent également des chambres d’hôtes et je loge toujours chez eux quand je vais prospecter pour des chevaux dans ce coin de Normandie. Un matin, je me suis réveillé très tôt et avant tout le monde. Je suis allé saluer les chevaux dans les boxes. Parmi eux je découvre dans un box isolé un superbe cheval entier gris. J’entre dans « sa maison » et me présente. Le cheval était très sûr de lui, entreprenant, joueur et ses yeux malicieux. Je décide alors de l’emmener s’amuser en liberté dans le manège. Ensemble, nous jouons et une belle relation amicale s’installe. Ayant passé un bon moment avec lui et l’appréciant, le lendemain je vais de nouveau le saluer. Nous nous taquinons réciproquement dans le box, je le remplis de caresses et de bisous… N’ayant pas trop de temps, je le salue et cherche désespérément à fermer la porte. Didji n’accepte pas mon départ et bloque la fermeture en positionnant sa tête au milieu. Il semblait me supplier de rester. De là est née mon affection pour ce beau cheval intelligent et mon envie de l’essayer pour l’acquérir. L’essai ne fut pas terrible ! Le cheval courait vers les obstacles et avait une bouche terrible. Il baladait sa tête et son encolure de droite à gauche, d’arrière en avant, de bas en haut… Il avait une foulée énorme, beaucoup de sang et en plus un mauvais caractère. Lorsque j’ai tout de même fait part de mon intention de l’acheter, mes clients présents ainsi que les observateurs se posaient bien des questions sur les raisons qui m’incitaient à acquérir Didji.
J’écoute simplement mes sensations, mon cœur et je crois vraiment aux vertus de la bonne éducation. Didji arriva ainsi dans mes écuries et j’entama son évolution avec beaucoup de patience, d’amour et de détermination. Bien souvent, les personnes nous observant se demandaient ce que je voyais en lui et lui faisaient constamment bien des reproches : bouche et trot « de merde », caractère fort et peu flexible, galop immense et peu gérable, saut cassé et fuyant… De ce fait, j’ai peu délégué sa formation. C’était mon bébé ! Bébé, car j’ai ressenti que malgré sa petite taille, Didji était en plus très tardif. À tel point que même le dentiste équin qui l’a ausculté à sept ans était persuadé qu’il en avait quatre du fait de la formation de ses dents.
Le matin il est toujours le premier que je vais saluer et dès qu’il entend mes pas, il m’appelle et hennit. Petit à petit, Didji s’est transformé. Il a eu un dos carpé avant qu’il devienne bien rond et fort. Ses allures ont changé. Après avoir eu un trot rasant et un galop à quatre temps, les temps de suspension se sont amplifiés et lui ont apportés du rebond. Il saute de mieux en mieux. Il est de plus en plus stable dans son équilibre, son encolure. Il est posé sur le mors et ne se bat plus… Entre-temps, je l’ai fait castrer. Ainsi il peut aller en prairie avec un autre cheval car, comme tous mes autres chevaux, ils y vont en couple. Il aura aussi une retraite heureuse et en groupe. J’ai ensuite vendu Didji à une de mes propriétaires qui ne veut pas faire de compétition. Cependant je continue tout de même sa formation à l’obstacle pour qu’il me prouve son réel potentiel mais sans y être forcé. Il éprouve de plus en plus de plaisir et de facilité. Je suis persuadé qu’il fera des 1,40m et 1,45m en étant même compétitif. Je veux l’y emmener progressivement, par le jeu mais en faisant de lui un réel athlète tout en lui maintenant une vie heureuse et de cheval. Comme tous mes chevaux !
La morale de l’histoire de Didji mais également des quatre autres chevaux décrits dans cet article est que je suis persuadé que par des méthodes lentes et respectueuses, bien plus de chevaux prouveraient de leurs qualités, auraient plus de succès et surtout de meilleures vies. Je suis convaincu que si plus de cavaliers observaient, profitaient et focalisaient plus amplement sur les côtés positifs de leurs chevaux plutôt que de combattre en permanence ceux négatifs, ils auraient beaucoup plus de satisfactions, de réussite et de succès.
Grâce à cette méthode j’ai utilisé très peu, pour ne pas dire jamais, le vétérinaire. Quand on sait le budget dédié aux soins vétérinaires dans bien des écuries c’est un fait si rare qu’il mérite d’être noté. Par le bien-être que j’apporte à mes chevaux, la vigilance dans l’intensité et la progression du travail, jamais aucun des chevaux sous ma responsabilité n’a eu de coliques.
À ceux qui pensent ou qui me disent que c’est très long et qu’il faut être fortunés pour faire cela je réponds : cette formation lente et respectueuse a coûté bien moins cher car les chevaux ont passé beaucoup de temps en prairie, ils ont participé à beaucoup moins de concours que bien des chevaux, les frais vétérinaires n’ont pas été importants, et surtout leur facilité, qualité de dressage, capacité, compétitivité et physique ou mental ayant été préservés ou augmentés font qu’ils ont une valeur réellement plus importante aujourd’hui.
En plus d’apporter d’énormes satisfactions, ce système permet de mettre en lumière les réels bienfaits de notre sport. Combien d’associations de protection des animaux s’insurgent contre nous ? Il est bon et important de leur montrer combien nous respectons les chevaux et les aimons. Sans nous il y aurait beaucoup moins de chevaux en ce monde et tous les aspects profitables à notre relation, qu’ils soient sociaux, éducatifs, culturels ou économiques, seraient anéantis ou perdus.
Autre point interessant à développer : j’ai vu à travers toutes ces expériences que l’on peut former des chevaux avec des jeunes cavaliers, s’ils font preuves d’écoute, de motivation, de passion, de patience, d’humilité et de courage. Mais surtout, cela est possible si ces jeunes sont soutenus ou guidés par un un formateur, un maître, un éducateur. Dans le système actuel (mais qui n’est pas nouveau car à mon époque c’était déjà ainsi) on profite souvent de la motivation, du courage, de l’inconscience et surtout de l’acceptation financière ou des conditions ou horaires de travail de beaucoup de jeunes qui pour monter sont prêts à tout. Ils se retrouvent souvent livrés à eux même et certains chevaux peuvent en pâtir. Pourquoi ne pas mettre alors en pratique le dicton : « À jeune cavalier, cheval d’expérience ; à jeune cheval ,cavalier d’expérience » ?
Les deux cavaliers (Emanuele Bianchi en2019/20 et Tommaso Gerardi en 2020/21) qui ont monté nos chevaux en compétition durant ces années et qui n’avaient jamais vraiment formé des jeunes chevaux ont eu beaucoup de chance et je suis certain qu’ils en sont conscients. Ils ont été appuyés par deux autres cavaliers maison qui ont fait preuve de motivation et de courage (Julien Pinel, Grégoire Hauviller ; surtout dans les premiers temps, alors que les chevaux étaient plus jeunes, exubérants ou virulents), mais aussi des grooms professionnels et attentifs (Inka Tolvanen) et par moi. Je n’ai jamais voulu reproduire ce que j’ai vécu. Ce n’est pas parce que j’ai eu des débuts durs que je dois rendre la vie difficile à ces jeunes. Ensemble, nous avons fait un travail remarquable. Unis nous avons construit ces chevaux et je les remercie tous. Ce fut une formidable expérience et un projet merveilleux. Je suis satisfait aujourd’hui car je suis certain d’avoir rendu heureux aussi bien mes propriétaires, mes cavaliers, mon staff et surtout mes chevaux. Tous avons vécu des moments de vie, mais aussi équestres faits d’expériences positives, instructives et de partage qui resteront j’en suis certain longuement dans nos mémoires. Je sais que par moment je suis exigeant mais c’est notre exigence à chacun qui nous permet de nous dépasser, de nous améliorer, de progresser et d’avoir du succès.
L’année prochaine, les quatre plus vieux chevaux, qui seront âgés de dix ans, seront montés en concours par un cavalier expérimenté pour les amener sur des épreuves d’1,50m et plus éventuellement. Un autre cavalier maison pourra assister à l’évolution de nouveaux jeunes chevaux et pourquoi pas les monter en concours. Un groom vivra sur place pour s’adapter au rythme des chevaux et non le contraire. Nous leur devons toute notre attention. Ce sera encore une nouvelle aventure humaine et équestre qui j’en suis certain sera encore plus belle car il ne faut pas toujours embellir le passé mais plutôt croire en un lendemain meilleur. Cela permet de toujours rester positif.
En attendant nos chevaux eux repartent en prairie pour deux mois. Ils vont profiter des derniers beaux jours pour se relâcher et se reposer. Moi je vous dis à bientôt pour de nouveaux partages.
Sportivement votre, Éric