Tous les chevaux sont différents et malheureusement ils ne parlent pas ! Difficile donc de savoir et comprendre leurs pensées, leur passé, leurs besoins, leur caractère, les traumatismes qu’ils ont pu vivre… Leur généalogie peut nous donner certaines petites informations sur leur consanguinité, vitalité, points forts ou faibles mais nul humain ne connaît réellement l’histoire profonde de chaque cheval. Certains chevaux sont bien équilibrés psychologiquement. Ils sont peut-être issus d’un bon croisement ou ont vécu des événements positifs qui les ont mis sur la bonne voie. Peut-être étaient-ils prédisposés à une belle vie, à être des combattants ou des gagnants car ils étaient bien accompagnés ou bien des meneurs, des vaillants ou des dominants… D’autres ont certains traumatismes bien ancrés dans leur tête dus à leur caractère plus faible, plus chétif, ou à des expériences négatives vécues en famille, en groupe, ou à cause de l’Homme qui n’a pas su les identifier, les comprendre, les approcher ou comment se comporter…
Beaucoup de personnes en ce monde aiment ou préfèrent les schémas classiques, les raccourcis, la facilité ou la normalité sur bien des sujets. Heureusement certains autres humains donnent plus de leur temps et se penchent plus longuement pour obtenir une réflexion plus approfondie ou une approche plus subtile pour en savoir plus et mieux sur une personne, un animal ou un problème particulier. C’est ce qui fait la différence entre une personne délicate, sensible ou intelligente et une personne indélicate, rustre et ignorante. C’est ce qui fait la différence en un cavalier lambdas et un Homme de cheval.
Certains chevaux ne « rentrent pas dans les rangs » et peuvent demander plus de temps, de réflexion et une gestion particulière alors qu’ils feront ou finiront par être des chevaux compétitifs et même d’exception. Le temps, la patience et la chance de croiser des personnes ouvertes d’esprit, sensibles et compréhensibles ou sages ont permis à ces chevaux d’exprimer tout leur talent et potentiel.
L’autre jour, je parlais justement de ce sujet avec un cavalier doué et compétent qui a une grande expérience en jeunes chevaux et avec qui j’apprécie partager, Grégoire Hercelin. Ce dernier me disait avoir été surpris dernièrement de la façon dont un ami à lui gérait son cheval en compétitions. Alors qu’ils étaient tous deux à cheval et au pas au paddock d’échauffement et en train de discuter, à un certain moment son ami lui dit « j’y vais ». Grégoire était persuadé que son collègue allait commencer à trotter. Quelle fut sa surprise quand il vit ce cavalier se diriger directement vers le terrain de concours. Intrigué, il l’accompagna pour l’observer. Le couple fit un superbe sans faute dans un Grand prix réservé à des chevaux de 7 ans et se qualifiait ainsi pour le barrage. Doublement intrigué, Grégoire se rendit ensuite aux boxes pour voir comment son ami gérait son cheval entre les deux tours. Ce dernier donna des carottes, des soins et beaucoup d’affection à son cheval avant de se remettre en selle, marcher au pas longuement et entrer de nouveau directement ainsi en piste. Sans faute encore ! Surpris par cette gestion particulière, Grégoire provoqua une conversation avec son ami pour lui demander le comment et pourquoi de cette façon de faire. Le cavalier lui répondit qu’il avait noté que le cheval ainsi préparé à la compétition restait serein, disponible et compétitif. Dans le passé en revanche, voulant exécuter un échauffement classique et quelques sauts au paddock, le cheval devenait fou et incontrôlable…
Cette anecdote me fit penser à de nombreuses histoires de ce type que j’avais entendu ou même d’expériences que j’avais pu observer ou vivre personnellement. Je remémorais à Grégoire par exemple une jument française, Alix de Rollencourt montée par Béatrice Patrese. Cette jument, apeurée par les autres chevaux, ne pouvait pas faire un long échauffement et surtout pas un seul saut au paddock. Cela n’empêcha pas ce couple de beaucoup gagner et de se classer même en Grand Prix Coupe du Monde…
En ce moment j’ai une jument de 7 ans nommée Fantasia qui a beaucoup de sang, qui a du mal à gérer ses émotions, devient difficilement gérable et contrôlable, particulièrement en compétitions. Elle a très peu d’expérience car elle a débuté les concours seulement à 6 ans et exécuté huit parcours. Elle était dans le passé très difficile également à la maison et a apeuré nombreux de mes cavaliers collaborateurs. Perdant la tête, elle pouvait avoir des réactions violentes et se mettre en opposition en se cabrant, cherchant à virer son cavalier, fuir, embarquer… De ce fait, j’ai dû régulièrement la monter personnellement pour montrer l’exemple à mes cavaliers mais surtout faire profiter de mon expérience à Fantasia et lui permettre ainsi de prendre ou retrouver confiance, de passer un cap et d’évoluer.
Si vous suivez régulièrement mes posts sur les réseaux sociaux, vous avez pu voir une vidéo d’elle où elle me fait un demi-tour violent après un saut. Conscient dès son plus jeune âge de ses difficultés j’ai préféré ne pas les aborder trop tôt afin de ne pas risquer de la diminuer ou l’endommager physiquement durant sa période de croissance. Grand nombre de chevaux difficiles sont usés et même cassés quand cette analyse logique n’a pas été respectée. Combien de cavaliers pensent qu’ils vont mater leur cheval ou le « faire plier » et accepter par la force ou une surcharge de travail ? Aujourd’hui les problèmes de Fantasia sont résolus à la maison mais pas encore en revanche en concours. À chaque compétition j’expérimente une nouvelle gestion afin de trouver celle qui lui conviendra. Durant la dernière, j’ai tous les matins longuement marché Fantasia en main afin de lui faire découvrir l’environnement du concours. Au début elle marchait en précipitant et me « sautait facilement dans les bras » ou « me marchait sur les pieds » à la moindre inquiétude. Ensuite avant son épreuve, je l’ai longé en licol et sans selle afin qu’elle se libère de certaines tensions et s’échauffe. Après, je la ramenais au box pour qu’elle se relâche. À la suite de quoi je la sellais pour aller de nouveau la faire marcher cette fois-ci monté mais tout aussi longuement et partout. Enfin je me dirigeais vers le paddock d’échauffement où là, avec beaucoup de sang-froid et de sérénité, j’évitais de tomber dans ses provocations.
Le bon cavalier essaye toujours d’inverser la tendance aux images négatives que sa monture veut lui transmettre afin de l’effrayer ou s’opposer. Sentant Fantasia plus disponible et connectée avec moi alors je galopais quelques tours à chaque main avant de la donner à monter à mon jeune cavalier collaborateur. Ce dernier fit juste quelques sauts dans le calme avant de rentrer en piste. La jument se comporta de mieux en mieux chaque jour.
Je ne sais pas si un jour Fantasia sera une illustre jument de concours mais je crois en elle. Toute sa famille était difficile mais tous avaient de la qualité. Elle a un beau modèle, un superbe galop, beaucoup de force, de courage aux obstacles, elle est solide et sensible… Avec toutes ces qualités je peux bien accepter ces quelques défauts ! En équitation le temps, la patience et la réflexion sont nos meilleurs alliés. Dans ma philosophie de vie et équestre j’aime observer et parler des qualités de chaque individu plutôt que seulement des négatifs comme le font beaucoup de personnes. La différence m’attire et m’enthousiasme plutôt que de m’effrayer et m’ennuyer. La difficulté est un chalenge auquel j’aime m’atteler. Vous aussi donc essayez de comprendre au mieux votre cheval. Souvenez-vous que le cheval est un animal d’une sensibilité et générosité rares et extraordinaires. S’il fait quelque chose de mal, ce n’est pas pour vous déplaire ou vous agacer. Essayez donc de trouver ce qui peut l’emmener à toujours mieux s’exprimer, à vous donner, à partager pour créer avec vous un couple solide, heureux et éventuellement compétitif. Si ce dernier objectif se voit impossible à atteindre, n’en voulez pas à votre compagnon. Acceptez les limites de votre cheval reconnaissant que nous sommes seulement d’humbles humains et nous ne pouvons pas prétendre être plus fort que le Bon Dieu. Nous ne pouvons croire résoudre tous les problèmes, et nous devons accepter que ne pouvant pas « lire dans la tête des chevaux » cela nous limite. Cependant la bonne gestion d’un cheval, la recherche d’harmonie entre nous peut-être il est vrai un sentier parsemé de bien des difficultés mais qui nous rendrons que plus heureux et fier si nous arrivons à les dépasser et voir ainsi notre relation et la prestation changer, évoluer et se transformer. Voilà la vision de l’équitation que j’aime partager. Cette discipline est une des meilleures écoles de l’humilité, de la patience, de l’écoute, de l’observation, de l’attention, de la compréhension, de la dévotion et du respect.
Voilà pourquoi je dis oui à la démocratisation de l’équitation mais non à sa banalisation ou vulgarisation.
Sportivement vôtre, Éric